• Les chiens ,pilliers de la société traditionnelle.

    Chez les Inuits, ce canidé domestiqué et son maître formaient un tout presque indissociable sur le plan symbolique

     

    Les années 1950 et 1960 ont laissé un souvenir très amer à bien des aînés du Nunavik, le Québec arctique actuel. À cette époque, plusieurs d'entre eux ont assisté impuissants à la mise à mort d'un nombre élevé de chiens par des représentants du gouvernement canadien. Les tueries, qui se sont déroulées dans l'ensemble des communautés inuites du Nunavik, avaient pour but de contrôler les maladies transmissibles par ces animaux, dont la rage. On cherchait également à réduire le nombre de chiens errants. Le problème, comme l'explique Frédéric Laugrand, professeur à la Faculté de théologie et de sciences religieuses, est que le fait d'attaquer les chiens fut perçu par les Inuits comme une attaque contre la communauté au sens large. À preuve les témoignages d'aînés rapportés dans le journal Nunatsiaq News du 26 mars 1999. "Des femmes, disait l'une, pleuraient comme si elle perdaient des membres de leur famille." "On aurait dit une tentative de génocide lorsque nos chiens ont été tués, une tentative pour nous anéantir", racontait l'autre.

    Frédéric Laugrand et son collègue hollandais Jarich Oosten s'intéressent à la cosmologie des Inuits, à leurs traditions et à leur histoire récente. "Cet article de journal nous a conforté dans l'idée de mener une étude plus poussée sur la place du chien dans ces cultures", indique Frédéric Laugrand. Les résultats de cette recherche, qui visait à mieux comprendre les vives réactions des aînés, ont paru au mois de mars dernier dans la revue scientifique allemande Anthropos.

    Un pilier de la société traditionnelle
    Chez les Inuits d'antan, le rôle du chien était multiple et, à bien des égards, essentiel. Ainsi, il repérait les trous de respiration des phoques, il pouvait trouver son chemin dans le blizzard et il tirait les traîneaux lors des déplacements. Sur le plan spirituel, il sentait la présence d'esprits dangereux et en avertissait son maître. Il protégeait également les humains de tout danger réel. Son urine, son sang, sa salive et ses excréments, des substances très appréciées pour leur pouvoir, servaient à soigner les humains. Dans les cas extrêmes de survie, on le mangeait, ce qui permettait d'éviter le cannibalisme. Dans le passé, après des funérailles, on laissait les chiens consommer les cadavres humains. Sur le plan cosmologique, on trouve le mythe de cette femme qui marie un chien et qui donne naissance à des entités mi-humaines, mi-canines. "En tant qu'animal, précise Frédéric Laugrand, le chien diffère des humains. Il peut donc être consommé par ces derniers. Mais son entité sociale ­ le chien est le seul animal qui porte un nom qui le relie à un maître ­ lui donne une dimension humaine chez les animaux."

    Un tout quasi indissociable
    Il existait une véritable symbiose entre les chiens et les Inuits. D'ailleurs, le maître et son chien formaient un tout presque indissociable sur le plan symbolique. "S'ils forment un tout, ajoute Frédéric Laugrand, on comprend alors pourquoi tuer massivement des chiens n'importe comment constitue un acte proche du génocide pour leurs propriétaires. Une partie de l'humanité de ce tout est en quelque sorte déjà touchée. L'autre, celle qui reste, est forcément menacée."

    Dans les cas de maladie, la logique des rituels de guérison - appliqués en dernier recours, il faut le préciser - consistait surtout à faire saigner l'animal, entre autres en lui découpant la queue ou les oreilles. "On cherchait ainsi à rompre ce tout qu'il formait avec son propriétaire afin précisément de permettre une guérison, explique Frédéric Laugrand. La maladie, pour les Inuits, était toujours le résultat d'un déséquilibre du tout qui a perdu ou gagné un élément."
     


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